Pour son projet “Mille et une voix”, le plasticien Olivier Beer invite, jusqu’en janvier, plus de 4 000 artistes en herbe au musée pour réinventer plusieurs tableaux célèbres. Le résultat final, un film, sera projeté au printemps. Reportage.
Publié le 08 novembre 2024 à 11h28
En cette fraîche matinée d’octobre des vacances de la Toussaint, seize jeunes participants sont sagement assis autour d’imposantes tables lumineuses, imaginées et dessinées par le plasticien britannique Oliver Beer. Très concentrés, la nuque courbée sur la feuille, ces enfants du centre de loisirs de l’école Arago, dans le XIVe arrondissement de Paris, planchent sur l’une des quatre peintures sélectionnées. Ils ont pour mission de reproduire et de déformer un des tableaux en s’appuyant sur le modèle glissé sous un papier blanc, dont on distingue par transparence les traits et les couleurs, une fois la tablette lumineuse allumée.
Sourire aux lèvres et regard malicieux, Louison, 9 ans, s’attaque au drôle de personnage lunaire de Victor Brauner dépourvu de corps, la fameuse Stéréofigure (1959) : « J’ai déjà commencé à transformer un de ses bras en serpent en dessinant des écailles. Je crois que je vais faire un monstre trop bizarre ! » Elyne a pour sa part entrepris de métamorphoser, du haut de ses 8 ans, la composition abstraite de Sonia Delaunay, Rythme (1938), en une joyeuse arborescence pleine de branchages et de feuilles… Guidées dès le début de l’exercice par Salvatore, le conférencier du musée d’Art moderne de Paris (MAM) qui anime l’atelier, les fillettes n’ont pas hésité à chambouler les œuvres. Prompt à épauler ses apprentis, Salvatore répète : « On n’est pas là pour juger ni pour critiquer les dessins ! La consigne est de réinterpréter l’image de la manière la plus libre possible : vous pouvez ajouter des bras, des jambes au personnage, lui mettre un avion sur la tête… Vous pouvez aller dans tous les sens, utiliser toutes les couleurs que vous voulez ! »
Au sous-sol du musée parisien, l’étrange expérience artistique a débuté le mois dernier. À l’initiative de l’artiste Oliver Beer, des ribambelles d’enfants conçoivent ensemble, à coups de crayons et de pastels gras, une œuvre participative originale. Cette réalisation polyphonique, baptisée « Mille et une voix », sera le fruit d’une série d’ateliers plastiques ouverts aux élèves des écoles, des centres de loisirs et aux jeunes visiteurs venus en famille le week-end. À partir de décembre, la deuxième étape de cette collecte consistera à capturer les voix et les instruments de jeunes musiciens amateurs ou appartenant au Chœur des enfants de l’Orchestre de Paris.
Imaginée comme un montage kaléidoscopique d’esquisses pimpantes, restituée sous forme de quatre films d’animation, cette réalisation composite s’inspire de quatre œuvres picturales choisies par Oliver Beer. Ces œuvres du fonds des collections permanentes du MAM – la Stéréofigure de Victor Brauner, l’huile monumentale Rythme de Sonia Delaunay, le portrait Sylvie (grosse tête) de Nina Childress et le Buste de chanteuse de face de Georges Rouault – établissent toutes un parallèle entre la peinture et les sons. « Dans mon travail, la musique et l’art visuel sont toujours intimement liés, nous confie le plasticien britannique. Il y a un prolongement entre ce projet et l’opéra-vidéo que je présente à la Biennale de Lyon [Resonance Project : The Cave], où j’ai imaginé une polyphonie à partir des voix de chanteurs de tous horizons, notamment originaires d’Australie, d’Haïti ou du Canada, que j’ai conviés à entonner des comptines de leur enfance au fin fond d’une grotte de Dordogne. Dans mes installations, je souhaite renouer avec cet état d’enfance, ce moment fugace où l’on possède naturellement cette impulsion de créer ! »
Restituer la spontanéité foncière ou la maladresse charmante de nos premiers graffitis, telle est l’ambition de « Mille et une voix ». En suggérant aux enfants de réinterpréter une œuvre du MAM, Oliver Beer entend redonner aux plus jeunes la place qui devrait être la leur dans les institutions culturelles : la première. « Il n’y a pas d’âge pour aller au musée, il n’est jamais trop tôt en tout cas… Nous avons ouvert les ateliers dès 4 ans, mais si un enfant de 3 ans a envie de participer à “Mille et une voix”, je serai ravi ! », assure-t-il. Ayant grandi en plein cœur de la campagne anglaise, dans le Kent, loin des musées, le plasticien se souvient de sa première révélation artistique : « C’était à la Tate [Gallery], à Londres, j’étais venu avec ma classe, je devais avoir 12 ou 13 ans. J’ai été bouleversé par une œuvre qui allait m’inciter à devenir artiste à mon tour : la photographie de la main de Donald Rodney qui s’intitule “Dans la main de mon père”. Il tient dans sa main une petite cabane sculptée. Cette image est tellement belle qu’elle peut parler à n’importe qui ! » Les quatre mille dessins d’enfants, qu’Oliver Beer espère recueillir pour peaufiner sa fresque audiovisuelle, viendront rejoindre les collections du musée d’Art moderne de Paris. Exposées durant la gestation du projet, ces esquisses foisonnantes seront numérisées, puis transférées sur une pellicule 16 mn à partir de laquelle l’artiste va élaborer le montage des films d’animation (livrés au public en avril 2025).
En attendant, nullement impressionnés, les arpètes suivent les directives. En moins de trois quarts d’heure, les murs de l’atelier se tapissent ce jour-là de flamboyants croquis. À en croire Stéphane, l’un des deux éducateurs qui a supervisé la sortie du groupe avec Ramzy, l’autre accompagnateur, les aspirants peintres ne sont pas de purs novices. Habitués du centre de loisirs de l’école Arago, ces petits Parisiens ont inscrit dans leurs pratiques quotidiennes la fréquentation des musées, et notamment celle du MAM. À l’issue de la séance de dessin, Salvatore entraîne la troupe en quête des œuvres originales disséminées dans les étages. Selon le désir d’Oliver Beer, les enfants n’approchent les tableaux in situ qu’après les avoir copiés et malmenés sur le papier, dans une grande spontanéité. L’analyse des peintures en taille réelle permet à Salvatore d’apporter avec parcimonie quelques données techniques : composition, texture, mouvement pictural…
Après avoir abordé la notion complexe de la vision par le rêve chez les surréalistes, avec l’énigmatique Stéréofigure, le conférencier conduit les enfants vers une œuvre encore plus impénétrable : un assemblage du plasticien suisse Daniel Spoerri, L’Enfant de De Chirico (1991). L’occasion de pointer l’intrigante tête de mannequin récupérée et emprisonnée au milieu d’objets hétéroclites dans la sculpture de Spoerri, qui rappelle la sphère diaphane du tableau de Brauner. Loin d’apprécier la similitude, un remuant blondinet gouailleur livre sa propre analyse : « On ferait pas mieux de l’enterrer dans un cimetière plutôt que de la mettre au musée, monsieur ? » Oups ! L’initiation à l’art contemporain n’est pas chose aisée.
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