Ponctuelle, Bambou entre d’un pas assuré dans une brasserie où elle semble avoir ses habitudes, située à quelques mètres de la maison que Serge Gainsbourg a achetée pour leur fils Lulu et qu’elle occupe encore. À l’aune de son livre « Pas à pas dans la nuit », où elle raconte l’enfer qu’elle a vécu dans sa jeunesse et ses treize ans passés avec la star, elle parle sans tabous, mais reste sibylline dès qu’on aborde le présent en général, et son fils en particulier, comme si d’autres blessures s’étaient ajoutées à celles cicatrisées. Son sourire est bienveillant, mais on décèle dans son regard une mélancolie qui ne la rend que plus bouleversante.
Paris Match. Votre autobiographie se termine à la mort de Serge Gainsbourg. Est-ce à dire que votre vie s’arrête en 1991 ?
Bambou. Non, mais après 1991 il y a beaucoup moins de choses à raconter. Par exemple, j’essaie d’avoir d’autres relations sentimentales, mais ça ne marche pas. Impossible, après Serge. Professionnellement, je suis toujours dans l’agence de mannequins IMG et mon quotidien fut longtemps accaparé par mon rôle de mère, à emmener Lulu au conservatoire, assister à ses cours de solfège, lui faire travailler le piano, ses devoirs, faire la cuisine… Aujourd’hui, je fais du yoga, je lis beaucoup et je ne sais pas de quoi sera fait demain.
Quand on est maltraitée et affamée, on devient un animal
Bambou
Parlons donc de votre passé, et de votre jeunesse, qui n’est ni plus ni moins celle de Cosette des “Misérables”, un de vos livres de chevet. Vous surnommez d’ailleurs la famille d’accueil dans laquelle l’Assistance publique vous a placée “les Thénardier” : ils vous avaient réduite en esclavage et vous maltraitaient. Entre autres exemples, ils vous forçaient à manger du poisson, alors que vous le détestiez, et, quand vous le vomissiez, ils vous obligeaient à manger votre vomi !
Et plusieurs fois, puisque je revomissais ! Je volais la bouffe du chien tellement j’avais faim. J’ai même mordu la main d’une de leurs filles alors qu’elle portait une tartine de confiture à sa bouche. Quand on est maltraitée et affamée, on devient un animal.
Lorsque vous avez 13 ans, votre mère, qui a laissé ses enfants à la Ddass, vous reprend avec vos sœurs afin d’obtenir un appartement des services sociaux. Elle vous fait dormir par terre, quand elle ne vous court pas après avec un couteau à la moindre bêtise… Vous n’avez jamais fugué ?
Si, bien sûr. Mais je revenais toujours, ne serait-ce que par rapport à l’école. J’ai tout fait pour que ma mère m’aime un petit peu. Je me débrouillais pour payer une partie du loyer grâce à des magouilles, j’allais l’aider à son restaurant – sauf un jour où j’étais trop malade et, quand elle est rentrée, elle m’a mis deux baffes… Puis, alors que j’étais passée à l’héroïne pour en finir [Bambou a fait deux tentatives de suicide quand elle était chez les Thénardier], elle m’a surprise dans ma chambre en train de me piquer. Elle m’a simplement dit : “C’est bien, mais n’en prends pas l’habitude.” C’est là que j’ai décidé de partir définitivement : elle n’en avait absolument rien à faire de moi et se moquait bien que je puisse crever.
Vous dites dans votre livre que vous pardonnez, mais ne confondez-vous pas résilience et pardon ?
Non. Quand Lulu est arrivé, je ne voulais pas qu’il hérite de mes casseroles. Dès sa naissance, toute ma rancœur s’est envolée. Même vis-à-vis des Thénardier.
Au point d’aller les revoir avec votre fils ! Mais pourquoi ?
Je voulais leur montrer que, malgré tout ce qu’ils m’ont fait subir, ça ne m’avait pas empêché de faire ma vie. En guise de pardon, je leur présentais mon fils. Le père Thénardier, lui, m’a présenté l’addition : maintenant que j’étais avec quelqu’un de connu et que je passais à la télé, je pouvais leur rembourser ce qu’ils avaient dépensé, alors qu’ils m’avaient toujours exploitée en bénéficiant d’une subvention mensuelle ! Je me suis rendu compte que c’était sans espoir et je suis aussitôt remontée dans le taxi qui m’attendait. Tant pis pour eux s’ils n’ont rien compris.
Mon père, je l’ai retrouvé grâce à ma tante. Je suis tombée sur un pauvre diable qui, au cœur des Landes, se croyait encore au Vietnam
Bambou
Avez-vous fait la même démarche avec votre mère ?
J’ai emmené Serge dans le restaurant qu’elle tenait dans le XIIIe arrondissement de Paris. C’était très bon, mais l’addition était cinq fois plus chère que les prix affichés. J’ai dit à Serge que je ne voulais plus la revoir. Je l’ai quand même recroisée en sortant de chez moi, bien après la mort de Serge. Il y avait un truc qui n’allait pas dans son regard, elle paraissait affaiblie. Son compagnon m’a annoncé qu’elle avait Alzheimer et que, malgré le passé, la famille était ce qu’il y avait de plus important. Je l’ai prise dans mes bras et lui ai mumuré : “Dans cette vie, c’est sans moi. Ce n’est ni de ta faute, ni de la mienne. C’est comme ça.” Et c’est tout. C’est la dernière fois que je l’ai vue.
On apprend que votre père était un légionnaire, que votre mère l’a épousé pour s’enfuir du Vietnam. Mais, à cause de la guerre, il est devenu à moitié fou, au point de poignarder sa femme et d’être interné.
Ah ! Mon père… Je l’ai retrouvé grâce à ma tante. Je suis tombée sur un pauvre diable qui, au cœur des Landes, se croyait encore au Vietnam. Quand il allait se promener dans la forêt, il prenait son coupe-coupe pour “tailler un chemin”, me disait-il. Il piquait des colères homériques et, une fois calmé, ne se souvenait plus de rien. Il n’y avait qu’avec Lulu qu’il rigolait. Il lui racontait ses souvenirs de jeunesse, de batailles aussi… Quand je les voyais ensemble, ils semblaient avoir le même âge mental. Deux gamins. J’avais quand même prévenu Lulu que si, dans la nuit, il y avait un pépin, je le ferais fuir par la fenêtre et je le suivrais. Je craignais que, dans un accès de folie, mon père débarque dans la chambre avec son coupe-coupe !
Pour ma mère, mon père était un salaud et les mecs étaient tous dégueulasses
Bambou
Dans votre biographie, vous restez très pudique sur votre sexualité, vos premiers hommes…
Parce que je n’ai pas eu beaucoup d’aventures. Il y a eu un peintre notamment qui m’hébergeait et avec qui je couchais une fois tous les trois mois – et ça me convenait parfaitement. Je n’avais pas une libido très développée. Sans doute parce que ma mère, le peu de temps qu’elle nous a gardées avec mes sœurs, nous a élevées dans le dégoût des hommes. Pour elle, mon père était un salaud et les mecs étaient tous dégueulasses.
Il a fallu cette rencontre avec Gainsbourg à l’Élysée Matignon, lors d’une soirée organisée par votre agence, pour que vous changiez d’avis ?
Sur ce plan, ça a été long avec Serge. Il a été patient. Et il m’a tout appris. Plus tard, j’étais furieuse quand je me suis entendue sur “Love on the Beat”, il avait enregistré mes cris de plaisir à mon insu ! Il s’est défendu en disant que c’était “Je t’aime moi non plus” puissance 1 000. Le producteur était d’accord, le label aussi… Je n’allais pas me battre contre toute une armée. Les paroles de la chanson sont jolies, cela dit.
Serge était contre le fait de vivre ensemble dans la même maison. Il pensait que ça tuait le couple
Bambou
Vous n’avez de cesse de répéter que vous êtes en quête de “normalité”, jusqu’à en créer une avec Gainsbourg, “pas la plus facile, mais c’est la nôtre”, écrivez-vous. Vous savez bien que la normalité n’est qu’une chimère ?
La normalité dépend du point de vue de chacun. Par exemple, Serge était contre le fait de vivre ensemble dans la même maison. Il pensait que ça tuait le couple. Il fallait avoir les moyens d’avoir deux endroits. Même si on se voyait tous les jours, on était en transit et c’était plus drôle. Je sais bien qu’il n’existe pas de modèle de “famille normale”, mais allez me dire ça à moi qui ai connu des parents adoptifs qui me traitaient comme une esclave et une mère qui me faisait dormir par terre !
Vous étiez tous deux dans l’autodestruction : vous avec l’héroïne, lui avec l’alcool…
C’est bien pour cela qu’on s’est trouvés ! Avec une grande différence tout de même : chaque piqûre d’héroïne peut vous envoyer de l’autre côté, alors qu’un verre d’alcool non. Et moi, je voulais vraiment en finir. À tel point que j’étais sûre que je ne dépasserais pas les 20 ans. J’ai fait beaucoup d’overdoses, de comas, mais je revenais toujours. La mort ne voulait pas plus de moi que la vie. Paradoxalement, Serge était un bon vivant. Moi, beaucoup moins. Je n’ai jamais aimé ce monde du showbiz où je retrouvais, certes sous une forme différente, la même méchanceté que chez les Thénardier. Un univers petit, mesquin, raciste. Pour tous, j’étais la junkie (alors que quasiment tous se droguaient !), j’étais la “jaune” qui était avec Serge pour le pognon. Ils attendaient que Serge soit bourré et qu’il ne puisse plus me défendre pour me balancer des saloperies du genre : “Les jaunes ne sont bonnes qu’au lit”… Je prenais mon sac et j’allais pleurer aux toilettes. J’attendais là que Serge soit prêt à partir. Catherine Deneuve est la seule personne qui soit venue me consoler lors d’un de ces dîners.
Tout ce beau monde devait être présent aux obsèques de Serge Gainsbourg. Vous n’avez pas eu envie de leur cracher à la figure ?
Je n’allais pas leur faire ce plaisir. Ç’aurait été de l’énergie perdue. J’ai préféré les ignorer. Comme je le fais encore aujourd’hui. Les seules dont je suis restée très proches sont Jane et Charlotte. Mais là, c’est différent : c’est le clan Gainsbourg. J’ai connu Charlotte quand elle avait 8 ans et demi. Je lui ai appris à tricoter, à broder, à cuisiner… C’était une enfant qui voulait faire quelque chose de différent toutes les dix minutes. Ça demandait beaucoup d’imagination. Je l’emmenais à la fête foraine, au jardin du Luxembourg… J’ai refait mon enfance avec elle. Elle était et reste comme ma petite sœur.
On apprend dans votre livre qu’avant d’avoir Lulu vous avez perdu un enfant de Serge…
Un jour, Serge me dit : “Tu te souviens quand tu as perdu…” et il s’arrête net, s’apercevant que Lulu, 3 ans, écoutait. Lulu abandonne son jeu et nous répond : “Oui, c’était un garçon, c’était moi et je suis revenu.” Serge a blêmi et s’est tourné vers moi, effrayé. Lulu n’était au courant de rien et que pouvait-il savoir, à son âge, de la réincarnation ? Cela frisait le paranormal.
Peut-on dire que Serge Gainsbourg vous a sauvé la vie ?
En quelque sorte, même si, bien qu’il ait eu trente et un ans de plus que moi, je prenais soin de lui. Je lui ai même sauvé la vie trois ou quatre fois. Quand il buvait trop, seul, il partait à la renverse. Sans nouvelles, j’appelais le Samu avant même d’arriver chez lui et on le retrouvait dans une mare de sang, s’étant fracassé la tête contre son bar ou une table.
Dans mon livre, j’ai fait en sorte de ne pas évoquer le Serge qu’on connaît. Je voulais décrire l’être humain, très timide en vrai
Bambou
Vous ne lui avez jamais demandé de renoncer à boire ?
C’était trop exiger de lui. Et lui m’a présenté ses excuses sur son lit de mort pour ne pas m’avoir aidée à cesser de me droguer – car j’ai arrêté toute seule quand on a décidé de faire Lulu. Serge travaillait alors avec Alain Bashung sur un album et ils étaient tous deux dans un tel excès que je suis partie dans le Lot-et-Garonne, dans une maison avec un ami qui se sevrait lui aussi. Ça a été horrible, douloureux, dangereux aussi (car on peut faire un arrêt cardiaque). Mais, dans mon livre, j’ai fait en sorte de ne pas évoquer le Serge qu’on connaît. Je voulais décrire l’être humain, très timide en vrai. Il ne pouvait pas aller à jeun sur un plateau télé. Il fallait qu’il boive plusieurs verres avant, sinon il était incapable de parler.
Qu’avez-vous lu de plus faux sur Serge Gainsbourg ?
Qu’il se piquait. Les flics eux-mêmes étaient persuadés que c’était un junkie. Tout ça parce qu’il avait fait une crise cardiaque et, à l’hôpital, on lui avait fait une transfusion. Peu de temps après, la police a débarqué chez nous car un dealer avait prétendu qu’il nous avait vendu de la came. Ils lui ont remonté la manche et vu la marque laissée sur le bras par la transfusion. Leur opinion était tranchée.
Ça vous a fait du bien d’écrire ce livre ?
Oui, ça m’a enlevé un poids de plusieurs tonnes, comme une excellente thérapie. Je n’ai jamais vu de psy. Enfin si, j’ai essayé une fois, mais ça n’a pas duré longtemps. Ça ne marchait pas. Je ne parlais pas. Je n’avais rien à lui dire. Je pense être meilleure à l’écrit qu’à l’oral. Et là, dans le livre, j’ai tout dit. Ou presque. Je me suis débarrassée de ce dont je devais me débarrasser. Je suis sereine.
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